L’un des reproches faits aux Juifs par les antisémites est leur solidarité. « Vous les Juifs, vous vous soutenez, vous vous entraidez », élevant ainsi la solidarité humaine au rang de crime insupportable. Avant de montrer l’importance de cette solidarité au sein du peuple juif, il est intéressant de chercher en quoi cette solidarité juive est spécifique. En effet, l’entr’aide existe aussi chez la plupart des nations du monde. En quoi cette entraide est-elle spécifique et pour quelle raison est-elle montrée du doigt de la part des nations qui y voient une pratique ségrégationniste ?
DROITS ET DEVOIRS La justice sociale est fondée sur les droits et les devoirs des citoyens. Dans les systèmes juridiques des pays démocratiques et libéraux on considère que l’homme a des droits, car fondamentalement l’homme est la valeur suprême, alors que dans la Torah c’est Dieu qui est la valeur suprême. En conséquence, l’homme ne saurait revendiquer des droits, il est avant tout un serviteur de Dieu, soumis à des commandements donc à des devoirs qui sont, selon la Tradition, au nombres de 613 (Tariag Mitsvot) dont 248 sont positifs, Mitsvot ‘assé, « des actions à faire », et 248 négatifs, Mitsvot lo ta‘assé « des interdictions».
Il est évident que les devoirs impliquent nécessairement des droits qui consistent à respecter les droits d’autrui et inversement. Par exemple « Tu ne tueras point » signifie que je dois respecter le droit d’autrui à la vie. La différence entre les deux approches se situe au niveau de la conscience individuelle : pour un laïc, le but de la vie est la réalisation de soi par la réussite matérielle et sociale, alors que pour l’homme religieux, la vie n’a de sens que dans la glorification de Dieu par la responsabilité et la conformité de ses actes à la volonté divine. Cependant, même au sein de cette recherche d’une perfection morale, l’homme juif ne renonce pas au confort individuel ni à la réussite matérielle et sociale.
SI TON FRÈRE VIENT À DÉCHOIR « Si ton frère vient à déchoir, si tu vois chanceler sa fortune, soutiens le …. n’accepte de sa part ni intérêt ni profit mais crains Dieu et que ton frère vive avec toi » (Lévitique 25,35). Les transactions commerciales sont rédigées au pluriel, mais lorsqu’il s’agit de son prochain en difficulté, l’ordre s’adresse à l’individu au singulier. En effet, l’obligation d’aider son prochain dans la misère est personnelle et s’adresse à chacun de nous à titre individuel. Personne ne peut s’en abstenir en arguant l’existence d’organismes communautaires ou d’institutions caritatives. La Torah impose ce devoir à titre personnel mais elle promet aussi que le bienfaiteur recevra la bénédiction divine dans son labeur et dans toutes ses entreprises ( Deutéronome 15,10), comme si la Torah voulait assortir cette Mitsva d’encouragements particuliers et de promesses de récompense, tant elle est difficile à accomplir.
Le présent commandement ne traite pas de charité qui consiste à donner l’aumône et à aider en permanence ceux qui sont dans le besoin. Ici, il s’agit de situations exceptionnelles, celles de personnes qui sont nos frères et qu’il faut aider d’urgence, ainsi que Rachi l’explique : « Tu le soutiendras : ne le laisse pas dépérir jusqu’à ce qu’il tombe et qu’il devienne difficile de le relever mais soutiens-le dès qu’il commence à vaciller. » Rachi ajoute une image pour insister sur l’urgence de l’aide, en disant : À quoi cela ressemble-t-il ? A un fardeau posé sur un âne. Aussi longtemps qu’il est sur l’animal, il suffit d’une seule personne pour l’immobiliser et le maintenir en place. Une fois tombé à terre, cinq personnes ne suffiront pas à le relever. »
Jusque-là rien qui ne puisse soulever l’admiration. Mais les nations acceptent mal cette entraide parce qu’elle ne s’applique qu’entre juifs. En effet cette entraide est assortie d’une condition importante : « Ne prends de lui ni usure ni intérêt…et que ton frère vive avec toi. »
LE PRÊT À INTÉRÊT. Le prêt à intérêt est interdit entre Juifs mais la Torah permet de prêter de l’argent à un non-juif et d’exiger des intérêts. Voilà ce qui heurte les nations. Il y aurait donc une morale pour les Juifs et une autre pour les non-juifs ! Inconcevable pour le reste de l’humanité d’où l’une des raisons de l’antisémitisme.
La réalité est que les intérêts, que rapporte l’argent sous forme de placement ou de participation, est le moteur de l’économie mondiale. Si un Juif emprunte de l’argent il doit payer des intérêts. Il est donc juste et logique de recevoir des intérêts dans ce système économique. Par contre au sein de la communauté où l’intérêt est banni, il sera interdit de prendre des intérêts. Là réside toute la différence entre le soutien apporté par un Juif à un frère juif. Cette mesure nécessite la crainte de Dieu, car il est difficile à une personne de renoncer à du profit.
Si les Juifs se sont spécialisés dans le prêt à un intérêt à partir du Moyen âge, c’est surtout parce que l’argent était le seul bien qu’ils pouvaient emporter en cas d’expulsion du pays où ils demeuraient ou pour acheter leur tranquillité lorsque les temps étaient à la haine du Juif. Mais surtout aussi parce que le prêt à intérêt est interdit au sein du christianisme et que les autorités royales l’avaient autorisé aux juifs.
UNE LOI DE VIE « Heureux celui qui agit avec sagesse à l’égard du pauvre. Au jour de la calamité, l’Éternel le sauvera »( Psaume 41,2) Le Midrach introduit le concept d’entraide par ce verset du Psaume, pour encourager à la réalisation de cette difficile Mitsva. En effet, tout homme tient à son argent. Cet argent bien placé peut rapporter beaucoup d’argent. Or la Torah demande à tout homme de venir en aide à son frère en difficulté et cela en renonçant aux bénéfices qu’aurait rapporté cet argent bien placé. C’est la raison des encouragements que la Torah donne au bienfaiteur.
L’un de nos Maîtres, le Ohel Yaakov, explique ainsi le verset « Heureux celui qui agit avec sagesse à l’égard du pauvre. Au jour de la calamité, l’Éternel le sauvera »( Psaume 41,2 ) , en rappelant ce qu’affirme la Tradition, à savoir que le budget annuel est fixé à Roch Hachana pour chaque individu. Celui qui agit avec sagesse en secourant le pauvre, on veille sur lui du ciel pour qu’il ne lui arrive pas de connaître des pertes d’argent pendant cette année-là.
La notion de solidarité remonterait selon le Tana debe Elyahou rapporté par le Hafets Haim dans son livre Ahavat hessed (l’amour de la bienveillance) à l’époque de l’esclavage en pays d’Égypte. Les esclaves hébreux se seraient réunis et auraient scellé un pacte de s’entraider les uns les autres quoiqu’il arrive. C’est grâce à cette alliance de solidarité, brith chèl hessed, qu’ils auraient mérité d’être délivrés d’Égypte.
Dans le Temple de Jérusalem, il y avait dans l’une de ses dépendances, une chambre dans laquelle les riches venaient déposer leurs dons de manière anonyme à l’intention des pauvres qui s’arrangeaient pour venir discrètement retirer les sommes dont ils avaient besoin, préservant ainsi leur dignité. Le mérite de ces pauvres résidait dans le fait de ne servir que du stricte minimum de leurs besoins, pour que les autres pauvres puissent eux aussi pourvoir à leurs besoins.
LA SOLIDARITÉ AU NIVEAU SPIRITUEL. Selon certains de nos Maîtres, l’interprétation du verset des Psaumes « Heureux celui qui agit avec sagesse » se rapporte à celui qui fuit les tyrans, en leur refusant toute collaboration, et sauve ainsi sa « pauvre âme » d’une perte certaine. C’est le cas de Rabbi Méir Baal Haness qui a refusé de collaborer avec les Romains et dont nous célébrons la Hiloula le 14 Iyar.
Et enfin, selon Rabbi Yirmiah se référant à Rabbi Méir, le verset du Psaume 41 « heureux l’homme qui agit avec sagesse » se rapporte à l’homme qui fait triompher le bon penchant (yétsér hatov, l’instinct du bien) sur le mauvais (yétsér hara’, l’instinct du mal) . Selon nos Sages, le « mauvais penchant » est qualifié de « riche », car il dispose de nombreux moyens pour inciter l’homme à s’y soumettre pour le satisfaire. Si certaines personnes refusent de venir au secours du pauvre c’est uniquement parce que le yetser hara’ leur souffle des arguments tels que « il est jeune, il n’a qu’à aller travailler » en parlant du pauvre ou d’autres arguments de ce genre.
La solidarité juive, l’entraide permanente a préservé l’existence du peuple juif face à l’hostilité des nations qui refusent de reconnaître que certains comportements juifs sont aussi la conséquence de leurs attitudes hostiles et qui ont souvent conduit à des tentatives d’extermination du peuple de Dieu. Par amour pour son peuple, Dieu l’a doté de sagesse en lui offrant la Torah.